« Voix in-vulnérables »
Séminaire CRIVA du mardi 14 janvier 2025 de 20H30 à 22H45
en zoom autour de Magali ROUMY AKUE et Gilles ANQUEZ
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Magali Roumy Akue : In-vulnérable : le tiret comme corde-f\•/cale
ARGUMENT :
Le terme "vulnérabilité" est polysémique et traverse les champs disciplinaires. Cette notion fondamentale se déploie selon cinq dimensions distinctes mais intrinsèquement liées : ontologique, environnementale, sociale organique et psychique.
Dans sa dimension ontologique, comme le soulignent les philosophes Nussbaum, Tronto et Honneth ou Freud en psychanalyse, la vulnérabilité constitue une condition fondamentale de l'existence humaine. Nous sommes, par essence, dépendants d'autrui et de notre environnement naturel et social, exposés aux atteintes potentielles qui en émanent.
Dans sa dimension environnementale, elle est liée au territoire dans lequel le sujet évolue, les conditions climatiques, l’accès aux ressources naturelles et la richesse de la biodiversité ce qui a une incidence sur l’habitabilité.
Sur le plan social, la vulnérabilité se manifeste à travers nos conditions de vie matérielles, notre identité ethnoculturelle, notre genre et nos liens relationnels. Ces dimensions s'entrelacent et façonnent notre exposition aux risques sociaux, créant des zones de fragilité variables selon les contextes et les ressources de chacun.e pour y faire face.
L'exposition organique révèle une vulnérabilité inscrite dans la chair. Le corps, dans sa temporalité propre, traverse des cycles de transformation liés à l'âge, à la maladie, aux accidents de la vie. Cette vulnérabilité organique nous rappelle notre finitude et à nos dépendances.
La dimension psychique de la vulnérabilité se caractérise par notre perméabilité aux affects et aux relations. Elle se manifeste particulièrement lors d'expériences traumatiques et/ou de leur reviviscence, venant effracter ou mettre à l’épreuve le pare-excitation. L’être fait face aux atteintes potentielles, internes ou externes qui le menacent de sombrer face à ce que l’on pourrait appeler la catastrophe.
Si l’on comprend que nous sommes ontologiquement vulnérables, on peut avoir le sentiment d’être invulnérable ou tout au moins ne pas considérer notre vulnérabilité. Dans ce contexte, le tiret d'"in-vulnérable" opère comme un signifiant paradoxal. Il tente graphiquement une impossible séparation d'avec notre condition vulnérable, tout en révélant, par sa présence même, l'échec de cette tentative. Cette manifestation graphique trouve son écho dans la matérialité vocale.
Le tiret comme corde-f\•/cale est une proposition conceptuelle et graphique qui renvoie à :
- l’illusion de notre invulnérabilité qui nous évite de faire face à cet inéluctable,
- à la coupure de l’advenance de la mutation ou de la catastrophe
- à la prise de conscience de la vulnérabilité
- à la trajectoire vers la parole.
Nous aborderons donc dans ce séminaire les questions de comment ce tiret, dans sa matérialité graphique et son écho vocal, révèle la tension entre notre aspiration à l'invulnérabilité et notre condition vulnérable, et comment cette tension se manifeste dans la voix comme lieu d'incarnation des fragilités individuelles et collectives.
Bibliographie indicative
Assoun, P. L. (2023). Psychanalyse de la catastrophe : enjeux anthropologiques et cliniques. PUF.
Butler, J. (2010). Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil. Lectures, Les rééditions.
Freud, S. (2013). Au-delà du principe de plaisir. Éditions Payot.
Gillie-Guilbert, C. (2006). La voix au risque de la perte : de l'aphonie à l'a-phonie: la voix à corps perdu.
Tronto, J., & Maury, H. (2009). Un monde vulnérable. Pour une politique du" care". Lectures, Les rééditions. Butler
Magali Roumy Akue est maître de conférences à L'UPEC (Université Paris-Est Créteil), au laboratoire Céditec. Ses recherches explorent l’articulation du design et avec d’autres disciplines telles que les Sciences de l’éducation, les Sciences de Information de la Communication, la médecine narrative. Elle a publié aux Cambridge University Press, dans Sciences du Design, dans le iartem e-journal, communiqué dans différentes conférences (cfqcu, iced, iartem, iscar).
Au sein du BUT Métiers du Multimédia et de l'Internet, elle encadre notamment un projet avec les étudiants de troisième année, visant à valoriser les liens intergénérationnels à travers des récits croisés entre étudiants et seniors. Ce projet se concrétise par des publications papier et numériques ainsi que des productions audiovisuelles.
Elle contribue également à la conception pédagogique de l'EUR LIVE de l'UPEC, trajectoires et vulnérabilité en santé. Cette initiative d'envergure internationale permet de conduire des recherches et des enseignements pluridisciplinaires, accueillant des étudiants sélectionnés du monde entier.
Fondatrice du Projet Artice, une plateforme de veille pédagogique collaborative et contributive, elle anime une communauté de pratique réunissant cinq formations en design de l'enseignement supérieur.
Dans son travail artistique, elle est en quête de l’expression d’épaisseurs de réel à travers une traduction écrite et graphique qui explore la perméabilité, les échos et les rebonds. Membre du CRIVA, membre du conseil scientifique et responsable du design graphique. Elle réalise les maquettes et mises en page de la collection du CRIVA qui intègre des productions graphiques, photographiques et picturales.* *
Gilles ANQUEZ : L’empêchée invulnérable
ARGUMENT :
Handicap. Polyhandicap. Déficience. Psychose.
La voix d’une vulnérabilité des êtres.
Des êtres qui se retrouvent bien souvent loin du social commun, abrités dans des lieux leur offrant asile.
Traversant cette vulnérabilité qui se montre au premier plan du corps, et saisit le regard, saisit l’oreille.
De cette angoisse surgissant de et dans la « clinique de l’extrême ».
Des corps empêchés.
Des corps tordus, tendus, agités, difformes, manquants.
Des corps en fauteuils roulants.
Des corps assistés en permanence par l’autre.
Des corps habités par des sujets dont la vie pulsionnelle se dérègle, se déroute, déborde.
Le plein fouet du Réel.
Et alors la voix ?
Bien souvent hurlante. Gémissante. Pleurante. Ou silencieuse.
Se répétant inlassablement dans un tissage de signifiants dans l’impasse d’une chaîne aux maillons déliés.
Des phonèmes semblent abandonner le sens.
Sans peut-être l’abandonner pour de bon cherchant alors la rencontre en se présentant comme une énigme.
Et l’autre ? Et l’Autre ?
Sans voix, sans mots, comment appeler ? Comment répondre ?
La musique revient sans cesse.
La musique prête son appel à chacun, si loin soit-il.
La musique prête son oreille.
Sa présence.
Mais alors, qu’appellent donc en nous ces sujets ?
Et l’humanité, quelle que soit sa condition, invoque-t-elle de façon invulnérable sa propre humanité ?
Gilles Anquez est musicien, chanteur, musicothérapeute et psychothérapeute à Lille. Formé au Centre International de Musicothérapie (CIM), il est également titulaire d'un Master 2 en études psychanalytiques (Université Paul Valéry - Montpellier III) et d'un diplôme de fn d'études en Psychopathologie à l'École Pratique des Hautes Études en Psychopathologie. La psychanalyse est une des approches qui l'accompagnent, nourrissant ses réflexions, ses recherches théoriques et cliniques. S'intéressant à la place de la musique dans le champ social, culturel et thérapeutique, il travaille auprès de différents publics en institution psychiatrique, gériatrique, hospitalière et pénitentiaire, de la périnatalité à l'accompagnement des personnes en fin de vie. Il est membre du CRIVA et de son Conseil d'Administration.
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