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"L'accent, animus vocis" 

Séminaire CRIVA, mardi 5 octobre 20h30, en "zoom" autour de Claire Gillie.

 

Il y a  un "cantus obscurior" de l'accent déja repérédans De Oratore de Cicéron, mélodie embryonnaire dont joue l'orateur. L'accent donne relief  la prosodie prend corps et écriture à l'aube de la musique, pour ensuite venir se greffer sur l'interprétation au sens musical du terme. Äme du mot - anima vocis - pour un certain Capella du Vème siècle, il est un germe de la musique (seminarium musices), et se greffe à elle ad cantus (accent).

Signe graphique au service de la distinction, modulation de l'intensité ou intonation d'un son au service de l'expression, inflexions particulières qui intérressent la prononciation et la phonétique, triste ou devin chez les poètes, l'accent s'insinue d'un champ conceptuel à l'autre, venant signer ou raturer les signifiants, séduire ou agresser l'écoute. Lorsqu'il se fait verbe, "accentuer" vien hystériser la langue et le language : il prend alors le sens de accroître, accuser, appuyer, aviver, dessiner, exagérer, faire, forçer, insister, intensifier, marteler, ponctuer, prononcer, renforcer, rytmer, scnader, souligner. Des symptômes qui s'accentuent, ce sont des symptômes qui s'aggravent.

Du label identitaire, à la voix qui se fait "la belle", l'accent est revendiqué ou refusé par le sujet du social comme par le sujet de l'inconscient.L'accent nous rappelle qu'il y a un corps derrière ce qu'on dit, une voix, une histoire qui module la langue. L'accent est le style qui permet à chacun de prononcer sa vie.

Cette dimension de l'accent trouve asile dans les inflexions de la voix, les attaques consonatiques,les fins de thèse qui se mettent à chanter ou rendre le signifiant rugueux. Si certes il peut se définir pour les linguistes et les sociologues comme une "manifestation individuelle d'une communauté linguistique", il en appelle au réel ou à l'imaginaire de ce qui fait lien à l'autre. Car l'accent est "l'autre dans la langue", le "marque de l'étranger dans la langue". L'accent est donc aussi "l'autre de ma langue", mais également un trait unaire - ein einziger Zug - qui inscrit le sujet dans une filiation et une identification.

La clinique est saisie d'un malaise de l'être parlant, lorsque celui-ci tente - comme l'a dit Bourdieu - de gommer son accent qui lui colle à la peau, le perdre, le faire disparaître. Vouloir se déprendre de cet "accent à couper au couteau", est-ce brouiller cette empreinte, afin de ne pas laisser de trace ? Se protéger et protéger l'autre d'un certain "verbal overkill" ? Une façon de se "démarquer" de l'autre, sorte de nettoyage par le vide de sa voix, avant de se risquer à en établir l'identité ? La "devoyer" volontairement, plutôt que de subir une discrémination vocale qui lui serait liée ?

Comment entendre la demande de celui qui cherche à troquer son accent un autre, au nom de sa quête identitaire, jouant ainsi sa voix à quitte ou double ? Quels en sont les revers, les enjeux inconscients ? Cet animus vocis n'est-il pas contour sonore de la pulsion invocante qui s'éssouffle ou jouit, entre corps et language, depuis les premiers balbutiements de la langue?