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Voix empoisonnées

Seminaire CRIVA Mardi 11 avril 2023, 20h30, avec Claire Gillie

voix empoisonnéées

ARGUMENT :

Il arrive que des paroles soient empoisonnées par des « langues de vipères » qui viennent « cracher leur venin » et spolier l’écoute qui leur est prêtée. Voix de fiel, voix caustiques, ce sont des voix toxiques qui restent accrochées au signifiant et à la peau du sujet. Telles le baiser de Judas, ces inflexions - ou plutôt « infections de voix » - dévient la chaîne signifiante de sa logique, pour entraver les pas de sujet sur son chemin de parlêtre. Si la voix ne s’incorpore pas, mais s’assimile comme le dit Lacan, qu’en est-il de ces voix vérolées, venimeuses qui nous « retournent les sangs », « restent sur l’estomac », et « empestent de leur haleine fétide » les voix surmoïques, dont les derniers avatars viennent s’échouer sur nos divans.

Déjà les Erinyes étaient connues pour leur haleine contenant du poison, et la mousse mortelle qui sortait de leur bouche. Hamlet a eu à se confronter à la voix spectrale de son père empoisonné, et qui l’empoisonna… Ce même Hamlet qui assassina Claudius tandis que sa mère mourut en buvant le breuvage empoisonné qui était réservé à son fils… Logique du poison – « la poison » comme il était nommé au Moyen-Âge – qui se distille d’une génération à l’autre, à la genèse du circuit de la pulsion invocante. Recevant ce cadeau empoisonné de la voix de l’Autre, le sujet en exhale les effluves à chacune de ses invocations. Pomme de discorde dans laquelle il croque à chacune de ses scansions et aposiopèses. Au-delà de la mort du père empoisonné, la voix demeure un poison virulent qui distille la haine vengeresse, telle une Érinye déchaînée … du signifiant…. On peut frémir à l’idée que les mêmes cornes que celle qui faisait sonner le schofar - répercutant les restes de la voix du père mort - étaient destinées à goûter les breuvages afin de s’assurer qu’une quelconque ciguë ne vienne pas arrêter en plein vol la parole des « grands de ce monde ». « Le christianisme a donné du poison à boire à Éros : il n'est pas mort, mais il est devenu vicieux » écrit quant à lui Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal.

Dans ce « Venenum, monde empoisonné » (comme le titrait une exposition au Musée des confluences à Lyon), l’histoire regorge de grands noms associés à des empoisonnements conçus cependant pour certains comme des antidotes. Et de ceci la psychanalyse peut témoigner en son revers inconscient.

 Freud ne craignait pas d’écrire à l’ami Pfister, d’une plume élégante mais cependant caustique, quand il repéra dans les polémiques osées de ce dernier « une respectable portion de poison théologique au goût douceâtre » … sans que cela ne fit vaciller pour autant le transfert !

Lequel Freud décèle dans la clinique du paranoïaque quérulent qu’il ne supporte pas de reconnaître son erreur, et dans la clinique de l’hypocondriaque que mal dont se plaint le patient ne vient pas de ses pratiques sexuelles, mais du fait qu’on l’a empoisonné. D’autres cas sont analysés par Freud à l’aune de cet empoisonnement jusqu’à conceptualiser une « paranoïa de masse » au lendemain de la guerre.

Dans son moment d’angoisse, le sujet de la peur devient sujet phobique, guettant du coin de l’œil ce qu’il ingère, craignant l’empoisonnement et la contamination. Nous venons d’en faire l’épreuve cuisante ; puisque la moindre « goulée d’air », infectée par les postillons vérolés greffés à la voix, risquait de conduire le sujet à la mort durant le covid.

Alors comment se laisser enseigner par ce « regard empoisonné » dénoncé par Saint-Augustin lorsque, pétri de jalousie, il contemple son frère de lait ? Comment penser avec Lacan ce « regard empoisonné » qui donne selon lui les coordonnées psychiques et somatiques de l’agressivité originelle, pour conceptualiser de quelle coordonnée psychique « la voix empoisonnée » est-elle le nom ?

Si l’empoisonnement sinistre le sujet lui versant dans la coupe de son être le poison amer du désastre, il lui donne paradoxalement un fatum tragique et jouissif, faisant de l’amour cet « empoisonnement lent par la bouche » comme Lacan l’avait repéré, … et bien avant lui Ronsard :

Tant je suis hors de sens, apres que j’ay taté
A longs traits amoureux de la poison amere,
Qui sort de ces beaux yeux, dont je suis enchanté.  [...]

Je ne suis plus un homme (Ô estrange meschef)

Mais un fantaume vain, qui rien ne peut comprendre